Guns of the dawn – Adrian Tchaïkovsky

Un récit passionnant sur les décombres de la raison

 

Comme promis, je vous propose une chronique d’un roman de gunpowder fantasy, contenant un bonne dose de panache, de bruit et de fureur. De l’émotion et de la profondeur également, comme nous allons le voir.

Pour être plus précise dans l’apophidermie, taxodermie, il s’agit de flintlock, un courant que j’apprécie énormément, qui mêle magie, armes à feu, costumes chamarrés, ainsi que quelques combats bien sentis.

Le programme est alléchant, et Adrian Tchaïkovsky transforme la promesse avec brio.

Un ambiance marquante…

L’atmosphère frappe dès les premiers chapitres en conférant à l’ensemble un parfum Guerre de Sécession  digne d’ Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, ou encore de Nord et Sud de John Jakes (pas celui de E. Gaskell) – Un avis partagé avec Lianne.

En effet, Guns at the dawn relate la guerre entre deux nations cousines, qui partagent des liens du sang au sommet de l’état, avec deux souverains appartenant à la même famille. Ce déchirement intervient après l’assassinat du monarque de Denland par des révolutionnaires. Leur prochaine cible n’est nulle autre que leur voisin et ami séculaire ; Lascanne. Deux nations où le langage est le même, seul un accent différencie, les uns des autres. Denland est un pays plus industrialisé que le Lascanne, réputé pour sa douceur de vivre et la bienséance de sa haute société.

Les structures sociales décrites au long du roman, marque vraiment cette dualité de mœurs similaire à celle des USA pré-1861. Pas de révélation fracassante en précisant que dans mon esprit Denland s’apparente au Nord tandis que Lascanne symbolise de Sud sécessionniste. Et, même l’épuisante lutte dans les marais à la frontière des deux nations m’évoque cette période déchirante de l’Histoire américaine, avec ses combats dans les terres marécageuses près de Baton-Rouge.

D’ailleurs, certains personnages du roman, et au premier rang Mallen  illustre cette relation forte entre les deux pays, sans qu’il ne soit le seul comme le lecteur pourra s’en apercevoir à la lecture de ce texte.

Le nom de Jane Austen est également évoqué tant la description de la société Lascanne avant et au début de cette guerre -fratricide – tombe dans les cordes de l’auteur britannique. Emily, notre héroïne, issue de l’aristocratie, baigne dans les mondanités. L’événement en début de lecture qui illustre parfaitement cet aspect « austenien » est un bal auquel se joindra le Roi, et ses mages de guerre. Emily s’avère déjà détachée de la ferveur qui anime sa sœur cadette, toute tournée vers les froufrous, les bijoux, son teint, l’éclat de sa beauté et… la chasse au mari.

La sœur aînée, déjà mariée et mère, ne peut qu’attendre le retour du front de son époux. Mais, dans cette partie, Autant en emporte le vent continue de résonner, en raison des querelles fraternelles, de l’implication familiale avec son esprit bonnes œuvres lors de la tournée dans le voisinage, ainsi qu’en raison de l’attachement d’Emily à la demeure familiale, telle une Scarlett avec Tara.

Ainsi, le cadre est posé, du moins pour l’aspect non martial de cette fantasy.

… jusqu’au cœur des marais

Si l’ambiance s’apparente aux œuvres citées plus haut en ouverture du roman, cette dernière change du tout au tout une fois les femmes enrôlées dans l’armée royale. Aux orties, frivolités et mondanités, place à l’amertume et à la rugosité!

Une fois achevée leur formation initiale au métier de la guerre, ces dames – de plus ou moins bonne compagnie et composition – sont envoyées sur les deux fronts : au Levant et au Couchant. Emily échoue dans le premier, à la réputation la plus sinistre : les marais.

L’atmosphère devient plus étouffante, digne des meilleurs films sur la guerre du Viet-Nâm. Chaque mètre de terrain est gagné par la sueur et le sang, pour être reperdu aussitôt dans l’affrontement suivant. La situation est égale entre les deux camps opposés, mort et statut quo à chaque empoignade, et les petites victoires se résument à revenir simplement vivant. Emily est de toutes ces batailles, et s’en sort relativement indemne à chaque round, bien souvent touchée cependant moralement. Les premiers jours, l’épreuve du feu se double d’une épreuve morale et psychologique prenante.

Le lecteur en est remué dans ses entrailles, heureusement qu’un esprit de camaraderie règne au sein de sa compagnie, et réchauffe à la fois les protagoniste et ce même lecteur…

Une fantasy contre la guerre

Dans sa critique, Apophis signalait le message anti-militariste de cette fantasy, un portage assez rare pour être souligné. Pourtant, nous ne pouvons pas dire que la gunpowder fantasy soit éminemment militariste, cependant ici, la guerre est pointée du doigt de façon manifeste.

J’avoue que je n’apprécie pas particulièrement le terme anti-militariste, car le militaire n’est bien souvent qu’un outil d’une politique choisie (ou subie), rare sont les décideurs dans ce registre. Finalement, c’est un roman comme La Guerre éternelle de Haldeman qui s’approche du propos de l’auteur, sur les conséquences et l’inanité de tels conflits. Ainsi, Guns at the dawn tient davantage de l’anti-guerre que l’anti-militariste.

Le chef des Denland dans ces marais, le Dr Lam, tient des propos dans ce sens, appuyant davantage encore cette impression. Il s’agit là, d’un personnage savoureux, avec une perspicacité certaine, une détermination à l’aune de notre héroïne, combattant tout en désapprouvant ce conflit plus ou moins. C’est la voix la plus éloquente contre la poursuite de la guerre, tout en cherchant bec et ongle à remporter la bataille des marais. Paradoxale, penserez-vous. Justement, c’est bien le contraire et vous apprécierez – ou apprendrez à apprécier cet adversaire.

Un dur retour à la réalité

En effet, c’est à la suite de la démobilisation des troupes, marquant l’arrêt des conflits,  que les répercussions personnelles sont le plus amples. Le gâchis en vie humaine a été plus qu’élevé, privant Lasacanne de forces vives pendant des décennies. La douceur de vivre chère au pays, avec sa société mondaine a mué en une amertume certaine. Les femmes sont retournées chez elles, mais pour quoi au final ? Impossible de retrouver des marques antérieures, qui paraissent si vaines et fallacieuses, impossible de trouver une nouvelle place dans la société. Qui sont-elles désormais, un question qui a une résonance avec le sort de maints combattants de toute époque et de tout conflit.

C’est sans doute plus frappant car, le lecteur le vit au travers des yeux d’Emily, un personnage particulièrement attachant. L’émotion qui participe tout au log du récit à nous nouer les tripes, nous faire rire, nous donner de l’espoir, nous fait partager ici, un mal-être assez percutant. Pourtant, Adrian Tchaïkovsky ne propose pas un texte déprimant ou nostalgique, car l’espoir et la luminosité attachée à son personnage s’y oppose avec brio.

Une narration en perroquet (terme militaire)

La structure du récit adoptée n’est pas étrangère à cette montée en puissance à la fois de l’émotion, de l’impact des délivrances, et du propos.

Après un premier chapitre qui nous plonge dans la moiteur des marais en compagnie d’Emily, le livre se découpe en 3 parties.

Le gros morceau qui représente approximativement les deux tiers du pavé, concerne le conflit armé de l’incorporation des femmes au retour à la vie civile. Quelques petites longueurs sur les classes de la gente féminine aurait pu être évitée, pour renouer plus raidement avec le chapitre d’ouverture et la partie la plus sombre ainsi que cette sensation d’être « sur le fil » du récit.

Le contraste avec la vie antérieure à l’incorporation aurait été d’ailleurs plus vive sans cette transition presque trop douce.

Cependant, la construction renforce essentiellement la dernière partie. En effet, le retour à la vie civile est d’autant plus prenant, que l’adrénaline des combats s’est évanouie, laissant une impression amère, en sus de la perte des repères habituels. La sensation de ne pas trouver sa place, de n’être plus qu’étranger à sa famille, à sa ville et même à sa chère maison.

Toutefois, c’est dans l’opposition avec la première partie que ces impressions prennent toutes leurs forces. D’ailleurs cette première vie est équivalente en volume aux péripéties de ce retour à la vie civile, avec un effet miroir important. J’ai aimé la description des mœurs languides initiaux, j’ai adoré ces passages finaux.

Une grande héroïne

Un des attraits majeurs de Guns at the dawn réside dans ces personnages, et notamment Emily. Sa résilience, ses angoisses, son obstination, et ses doutes en font un personnage palpable et captivant. L’évolution de sa personnalité tout au long du roman, à travers la guerre, ses aspirations, ses attirances physiques ainsi que ses introspections en fait un des points fort du roman, car tout est délivré à travers son regard, et le message « anti-militariste » prend sa force dans sa transformation, de jeune pucelle de bonne famille, à une femme, certes déboussolée, mais affirmée et indépendante.

Pour ne rien gâcher, cette figure est épaulée par une trio de personnages tout aussi réussis : Le Dr Lam – le colonel des forces armées antagonistes, Mallen – l’éclaireur chevronnée amoureux des marais, et Brocky, l’intendant du camp.

D’autres personnages secondaires complètent l’effectif avec saveur, que ce soit les sœurs d’Emily, à M. Northway le Gouverneur de leur comté.

Seul Giles, mage de guerre,  et son homologue ne m’ont pas convaincue entièrement. Le premier un poil trop lisse, le second un peu caricatural. La thaumaturgie peut être le seul véritable point faible du roman. Les praticiens possèdent de grands pouvoirs pyrotechniques et spectaculaire. Si d’un côté j’ai apprécié que la magie ne soit pas le fer de lance de ces armées, ni au cœur du récit, en revanche, j’ai bien moins gouté l’aspect bien commode et « divin » de la chose.

A la lecture de ce billet, j’espère qu’il paraît évident à vos yeux qu’il s’agit d’un gros coup de cœur.

Guns at the dawn est un roman de fantasy moderne, alliant fond et charme au travers d’une histoire magnifique et prenante. L’héroïne, plongée dans les vicissitudes de la guerre n’en ressort pas indemne, et nous permet une immersion prenante.

Ce livre est pour vous si :
  • vous souhaitez lire une fantasy alliant forme et fond
  • vous êtes amateurs de romans dense et émouvant
  • vous êtes anti-militariste
Je vous le déconseille si :
  • vous êtes allergique à une minuscule amourette
  • vous misogyne
  • Vous ne concevez pas la fantasy avec des mousquets
Autres critiques :

ApophisLianneOrion

24 réflexions sur “Guns of the dawn – Adrian Tchaïkovsky

  1. Très bonne critique (merci pour le lien) ! Nous sommes d’accord sur l’essentiel, à savoir l’intérêt de l’aspect anti-guerre et le fait que le personnage d’Emily soit le joyau du roman. J’en suis à mon troisième roman de Tchaikovsky, et c’est la baffe à chaque fois. J’espère que tu apprécieras Dans la toile du temps !

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    • Merci Lianne!
      J’ai lu un paquet de fois Autant en emporte le vent, et comme toi, cela m’a sauté à la figure de manière assez impressionnante. J’avais lu aussi la chronique de l’ami Apophis, et la parallèle avec Jane Austen en début de roman est pertinent.

      Bref, oui, j’ai vraiment adoré… et même la « romance » qui n’est pas ma tasse de thé!

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  2. La Gun Powder fantasy est un genre qui a priori ne m’attire pas du tout. Mais vu les critiques qu’Apo et toi en faites, je me dis qu’il faudrait que j’essaye d’en lire au moins un un jour. Et un roman de Tchaikovsky me semble être un choix judicieux pour se laisser corrompre.

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  3. Je l’avais déjà noté après la critique d’Apophis, mais tu renforces ma conviction qu’il faut absolument que je le lise ! On sent effectivement bien ton enthousiasme et il est communicatif. Je pense que c’est tout à fait le genre de livre qui me plairait 🙂

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