Le paradoxe de Fermi de Jean-Pierre Boudine

Où sont-ils ?

 

« Pluralitas non est ponenda sine necessitate »

« Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité » – Rasoir d’Ockham

« Toutes choses étant égales par ailleurs, la solution la plus simple est généralement une ânerie » – Dan Simmons

Le paradoxe de Fermi concerne le débat sur l’existence d’une entité extraterrestre. Il a été posé en 1950 par le savant italien Enrico Fermi lors d’une conversation dans une cafétéria. Cette question dépasse largement le cadre scientifique, de la science-fiction, de la philosophie et de la religion. C’est un dilemme proprement fascinant à mes yeux, et si en soi il démontre un fort penchant pour l’anthropocentrisme (et de nombreux détracteurs pointent aussi que ce paradoxe est infondé), comment ne pas tenter de répondre à cette énigme cosmique ?

Il peut se résumer par cette phrase :

« S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ?« 

Les hypothèses pour lever le paradoxe sont de trois ordres (ils sont là – ils existent mais n’ont pas encore pris contact – nous sommes seuls). Avec ce roman, Jean-Pierre Boudine tente de donner sa vision (déprimante) du pourquoi nous sommes seuls dans l’univers.

Sa réponse tient en sa simplicité : une certaine forme d’entropie.

Difficile d’affirmer que j’ai aimé ce roman. Cette sensation exige une relation positive avec l’histoire qui nous est contée. Or, JP Boudine nous délivre un tableau du futur d’un noir absolu. Les contes apocalyptiques manquent de niaque et de jusqu’au-boutisme en comparaison…

L’auteur nous invite à découvrir le journal d’un survivant, ex-chercheur au CNRS. Celui-ci nous relate sa vie quotidienne, seul, déprimé, anémié en pleine montagne; ainsi que les rouages qui l’ont amené à cette situation et à fuir tout contact avec les représentants de l’humanité.

Le roman a été retouché pour prendre en compte la dernière crise économique, car l’enchaînement catastrophique trouve ses fondations dans une crise financière, bancaire, puis sociétale. Tout est parti à vaut l’eau, enclenchant une vague de terreur et de massacres.

Le récit est saisissant à deux titres, en relation avec cette double narration. D’une part, impossible de ne pas compatir avec l’auteur du journal décrivant le combat quotidien qui est le sien, sa décrépitude ainsi que l’absence absolue d’issue. D’autre part, que dire de l’implosion de l’humanité ?

L’engrenage délétère, une fois mis en route, ressemble à un Tsunami, une vague sans grande vitesse mais d’une puissance dévastatrice inouïe. Le rendu fonctionne car un sentiment de crédibilité imprègne le texte, les diverses références aux crises passées ainsi qu’à leur conséquences participent à cette sensation de plausibilité. L’auteur est très habile également dans la description de la descente aux enfers, par des pas, des abandons plus ou moins grands des diverses gouvernances, et ceux plus ou moins petits individuels. Ainsi, l’écroulement de ce château de cartes tend-il à démontrer la fragilité des sociétés et de l’humanité.

J’avoue que malgré tout, mon expérience professionnelle, m’ a fait relever quelques faits qui m’apparaissent discutables. Ainsi, l’existence de « plans » pour parer à des crises majeures ne son jamais évoquées ou mise en œuvre partiellement avec une inefficacité spectaculaire. Les installations stratégiques et les points névralgiques ne sont pas ou si peu protégés dans l’effondrement des sociétés que cela m’a fait tiquer. Les centrales nucléaires en premier lieu ainsi que les dépôts de carburants vides de toute intervention militaire.. alors que c’est une question vitale et cruciale. Certes, j’en conviens avec l’auteur, une armée sans carburant et sans électricité (et sans communication) est mal en point pour coordonner et maintenir un semblant d’ordre, mais justement, cela me paraît si peu probable… car ce sont les points prioritaires de protection. Ah, et j’ai eu aussi l’opportunité de visiter la section de colombophilie au Mont Valérien (pigeons voyageurs militaires). Hormis, ce détail, de taille à mes yeux, tout le reste est glaçant de vraisemblance.

Le roman m’a également fait penser au texte de Laurent Whale, Les étoiles s’en balancent. Les deux romans mettent en scène des bandes de pillards, montrent la difficulté de survivre et la fortification des villes et villages alors que la société est en perdition. Cet aspect est vraiment prenant.

Vous aurez compris qu’il s’agit purement et simplement d’un roman sur la fin de l’humanité, et du coup d’une explication au Paradoxe de Fermi sur l’absence de trace de civilisation galactique.  Le paradoxe lui-même y est abordé de manière plutôt pédagogique au travers d’une conversation. Et même si le lecteur est familiarisé avec cette énigme, cela reste intéressant voire captivant, d’autant que les trois hypothèses y sont abordées. J’aurais souhaité sans doute l’évocation du Paradoxe d’Oblers (ou le paradoxe de la nuit noire) qui cadre dans le thème.

Le journal de ce chercheur au CNRS est très convaincant et laisse planer une aura presque visionnaire.  Le texte est noir, accrocheur et par nature propice à la réflexion sur notre avenir et sur la nature de l’homme. Redoutable d’efficacité, déconseillé aux âmes neurasthéniques.

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Le livre :
  • Lunes d’encre
  • 192 pages
  • 8 janvier 2015

27 réflexions sur “Le paradoxe de Fermi de Jean-Pierre Boudine

  1. Je vois que Boudine ne t’a pas laissé insensible. Je me doutais que la noirceur du propos te ferait tiquer.
    Sur tes bémols sur la gestion de crise, je suis un peu de ton avis (sauf pour les pigeons, pov’ bestioles, enrôler de force). Mais comme le suggère l’auteur, ce n’est que le journal d’un spectateur du désastre, forcément partial, dans ce qu’il écrit, se souvient ou de ce qu’il sait des évènements. Et le livre étant court. Chaque lecteur aurait voulu que soit développé tel sujet ou tel autre selon ses connaissances, mais cela aurait, peut être alourdi le récit.
    Quoiqu’il en soit, et comme tu l’écris, l’auteur réussit son pari de donner son explication au paradoxe de Fermi et

    Tu évoques le Paradoxe d’Oblers que je ne connais pas, j’ai rapidement jeté un oeil sur wikipedia, mais je ne comprends pas en quoi il cadre dans le thème ? (désolé, je suis parfois, souvent, beaucoup, un peu long à la détente)

    Merci pour le lien, nos critiques se complètent et sont d’accord sur l’essentiel : un livre à lire.

    Aimé par 1 personne

    • Cela ne m’a pas fait tiqué tant que cela. Je suis assez « enchantée » de cette lecture. Je savais à l’avance que ce serait très sombre. Et je suis assez partagée car le concept d’avoir aimé, n’est pas tout à fait exact, ce n’est pas du tout positif. En revanche, question émotion et stimulation intellectuelle c’est vraiment satisfaisant.

      Alors pourquoi j’évoque le paradoxe d’Oblers? C’est en raison même du paradoxe de Fermi, la façon dont il est initialement posé. Si une espèce d’ET existait ou avait existé (il y a peu de temps à l’échelle cosmique) nous devrions trouver des ondes radio. Or nous n’avons rien détecté jusqu’à présent, d’où la question de Fermi (et accessoirement le programme SETI). La lumière est une onde électromagnétique et en cumulant toutes les sources de lumières connues, il devrait faire jour même la nuit. Or ce n’est pas le cas, et la question du pourquoi se pose depuis plus longtemps encore que l’énigme de Fermi.
      Je trouve qu’il y a une très grande similitude des deux paradoxes, et peut-être une source d’inspiration pour poser certaines hypothèses, ou pour chercher une résolution autre qu’anthropocentrique.

      Après il n’y a pas de lien direct, je te rassure là-dessus!

      Oui, nos critiques se complètent et sont bien plus proches que tu ne le penses.
      C’est un livre à lire, sans le moindre doute.

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  2. L’inculte que je suis ne connaissais pas le paradoxe de Fermi et ton article (ainsi que le commentaire sur le paradoxe d’Oblers) est hyper intéressant. Merci donc pour toutes ces explications. Ces questions sur la potentielle existence d’espèces extra-terrestres m’ont beaucoup interrogées étant (beaucoup) plus jeune… Mais ma curiosité m’a porté sur d’autres thèmes et a abandonné plus ou moins cette thématique et voilà que ton article me titille à nouveau… Et peut-être me laisserai-je tenter par ce livre pour creuser le thème?
    J’ai tout de même l’impression qu’il faut être dans un état d’esprit particulier avant de s’y attaquer.

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    • Merci, je suis heureuse que tu trouves mon article intéressant. Comme il s’agit d’un paradoxe pas si célèbre, j’ai essayé d’être assez claire.
      Il faut tenter cette lecture qui porte à la fois un regard sur l’homme et une thématique sur l’existence des ET.
      Je dirais qu’il faut mieux être dans une disposition d’esprit positive et ouverte, bref à ne pas lire un jour d’hiver au ciel sombre et venteux.

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  3. Le débat sur l’existence d’une entité extraterrestre me fascine ! Mais j’avoue que la dernière hypothèse est celle qui m’emballe le moins ^_^ JE NE VEUX pas que nous soyons seuls !!! …Bon, en même temps, on s’en fout de ce que je veux, ou pas 🙂
    Bref, peut-être un poil trop déprimant pour mes espoirs…
    Merci pour cette très chouette critique !!!

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    • Merci!
      Je l’avais repéré car cela me fascine aussi. J’espère bien que nous ne sommes pas seul, avec un univers si vaste….
      Oui, c’est un poil sombre même si c’est une chouette lecture. 🙂

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