đŸ•Šïž Rossignol – Audrey Pleynet

Le dieu dĂ©jĂ  avait parcouru les douze signes et un an avait passĂ© ;

que pouvait faire PhilomĂšle ? Des gardes empĂȘchent sa fuite,

les murs de l’Ă©table se dressent, construits de blocs de pierre,

sa bouche muette ne peut signaler ce qui s’est passĂ©.

Mais la douleur est trĂšs ingĂ©nieuse, et l’habiletĂ© naĂźt du malheur.

Il y a des textes qui s’imposent, certains qui chatoient, d’autres qui brassent de l’air, qui volent dans les plumes pour qu’on les regarde. Il existe des textes qui se font remarquer par leur Ă©clat, et d’autres qui avancent en silence, comme s’ils craignaient d’enclencher un effet papillon. Rossignol d’Audrey Pleynet appartient Ă  la seconde catĂ©gorie : c’est dans ce murmure que se loge sa puissance.
Ici, le personnage principal n’est pas l’oiseau, mais l’absence mĂȘme de son chant.

Pourtant il n’est pas dessĂ©chĂ©, vain ou inutile ; il porte avec lui une longue tradition littĂ©raire. Depuis l’AntiquitĂ©, le rossignol oscille entre deux modĂšles : l’hĂ©ritage ovidien, oĂč il devient le chant de la vengeance, celui de PhilomĂšle, qui transforme son mutisme forcĂ© en puissance crĂ©atrice (la scĂšne avec Victor en est l’incarnation la plus Ă©vidente), et l’hĂ©ritage virgilien, oĂč l’oiseau se fait plainte, ressassement d’une douleur qui ne trouve pas de rĂ©solution.
Ainsi, son chant peut signifier la joie amĂšre de la revanche ou la persistance d’un souvenir blessĂ©. Les littĂ©ratures pastorales, puis romantiques, n’ont cessĂ© de jouer de cette ambiguĂŻtĂ©, nourrissant toute une palette de rossignols tour Ă  tour lumineux, mĂ©lancoliques ou farouchement obstinĂ©s. Notre Ă©poque contemporaine, s’est saisit de cette symbolique de discrĂ©tion et d’efficacitĂ© que l’on croise mĂȘme dans les jeux vidĂ©os (notamment dans Skyrim).

✒ L’art de faire chanter ce qui se tait

AccompagnĂ©e des murmures de notre narratrice, j’ai Ă©coutĂ© et entendu essentiellement PhilomĂšle: figure de l’artiste rĂ©duit au silence mais capable de communiquer autrement, Ă  travers la tapisserie qu’elle tisse. Une voix du silence, un langage sans parole, une crĂ©ation qui survit Ă  l’absence de son.

C’est dans cette lignĂ©e subtile qu’Audrey Pleynet inscrit Rossignol.
Non pas en citant ouvertement le mythe, mais en travaillant une tension similaire : un chant qui n’advient pas, et qui pourtant rĂ©sonne. Un rĂ©cit oĂč l’absence devient message, et oĂč la voix surgit justement lĂ  oĂč on ne l’entend pas.

La prose d’Audrey Pleynet est une Ă©criture qui chante tout en retenue. Chaque mot semble y ĂȘtre dĂ©posĂ© avec la dĂ©licatesse d’une main qui craint de dĂ©ranger l’équilibre fragile d’un orchestre philharmonique. Pas d’envolĂ©es, pas d’emphase : des notes tenues, vibrantes dans leur dĂ©pouillement.

Comme la toile de PhilomĂšle : peu de fils, mais un motif puissant.

đŸ•Šïž Le rossignol qui manque : un vide vibrant

Cette sobriĂ©tĂ© n’annule pas l’émotion, elle la concentre.
On se faufile Ă  pas feutrĂ©s dans la lecture, sur le qui-vive, car quelque chose palpite dans le silence : une douleur, un souvenir, une vengeance ou cette tension particuliĂšre qui prĂ©cĂšde l’éclosion d’une voix, l’arrivĂ©e d ‘un message plus espĂ©rĂ©….

Ce qui frappe, c’est que le rossignol ne chante pas. Il ne se montre pas. Il manque et cette absence devient le cƓur vibrant du texte. Comme dans le mythe de PhilomĂšle, le silence n’est pas une disparition : c’est une forme de langage. Chez Audrey Pleynet, l’oiseau absent tient lieu de phrase suspendue, d’émotion contenue, d’une attente qui s’espĂšre, qui s’enfuit.
Plus le lecteur guette, plus le silence devient palpable.
C’est lĂ  que la tradition ovidienne s’envole : ce que la narratrice ne peut dire se tisse ailleurs, dans un autre registre, dans la douceur blessĂ©e, dans une violence contenue.

🎧 Le lecteur comme chambre d’écho

Ce silence, loin d’ĂȘtre vide, ouvre au lecteur un espace oĂč dĂ©poser ses propres mĂ©lopĂ©es. Parfois il s’agira d’une plainte, parfois d’un souvenir, parfois mĂȘme d’un (futile) Ă©lan de rĂ©sistance, c’est selon ce que chacun porte en soi.

Car le rĂ©cit d’Audrey Pleynet ne guide pas, il n’impose rien : il s’accueille avec les chants qui nous occupent. Il recueille. Et c’est peut-ĂȘtre ce qui Ă©meut tant (ou pas car il est possible de rester hermĂ©tique Ă  ce chant) : la sensation d’ĂȘtre pris dans un murmure qui nous reconnaĂźt, oĂč l’on se reconnaĂźt. Cette appropriation de la douleur, de la douceur et de l’espĂ©rance est la marque des belles plumes, de celles qui ne jugent.

Comme PhilomĂšle trouvant un langage au-delĂ  de la parole, Rossignol nous invite Ă  entendre ce que nous ne savions pas Ă©couter en nous-mĂȘmes.

Le chant discret qui persiste

Rossignol est un texte qui ne cherche pas Ă  convaincre, il touche.
Le rĂ©cit s’impose longtemps aprĂšs l’avoir lu, comme un bruissement d’ailes qui reste dans l’air, juste Ă  peine perceptible, lĂ©ger et rĂ©confortant.

La rĂ©ussite d’Audrey Pleynet tient prĂ©cisĂ©ment dans cette retenue : faire de l’absence une prĂ©sence, du silence une voix, et d’un texte trĂšs court une Ă©motion ample.

À la maniùre de Philomùle, elle montre qu’il existe mille façons de dire lorsque les mots manquent.
Le rossignol de Pleynet ne chante pas, mais son silence, lui, raconte tout. Et chacun aura sa propre sensibilité à ce chant.

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Rossignol Audrey Pleynet

12 réflexions sur “đŸ•Šïž Rossignol – Audrey Pleynet

  1. Quelle superbe chronique toute en poésie et subtilité !

    Tu retranscris Ă  merveille l’ambiance et le rythme si singulier de cette lecture. J’espĂšre que ça donnera encore plus envie Ă  d’autres de le dĂ©couvrir. J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© conquise ❀

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    • Sur la forme, sans avoir tout lu, il est celui qui est le plus « ambitieux » (de ce que j’ai lu), sur le fond, j’ai beaucoup apprĂ©ciĂ© l’absence de ton moralisateur qui donne un vrai sentiment de libertĂ© et d’exploration Ă  la lecture. Duc oup, il fait mouche, pour moi.

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