La Marche Funèbre des Marionnettes – Adam-Troy Castro

Quand la SF danse avec la beauté et la mort

Saint-Simon écrivait : « Tout est relatif, voilà la seule chose absolue »

Le Bélial, Une Heure-Lumière

La Marche funèbre des Marionnettes – Adam-Troy Castro

Une unique fois durant leur vie, les Vlhanis, habitants de la planète Vlhan, offrent à l’univers un spectacle d’une beauté à couper le souffle : un ballet d’une profondeur inouïe, d’une grâce et d’une pureté qui transcendent les âges et les espèces. Ce rituel rare, suspendu dans le temps et l’espace, captive autant qu’il bouleverse. Car, au cœur de cette danse sublime sommeille une tragédie.
Chaque année, ce moment attire les sophontes de toute la galaxie ; les retransmissions sont un triomphe, l’émotion irradiant jusqu’aux cœurs les plus desséchés.

Alex Gordon, exolinguiste, effectue son service obligatoire au sein de l’ambassade terrienne sur Vlhan. Il se prépare à assister à un spectacle qu’il sait à la fois merveilleux et tragique. Impatient, il parcourt du regard les « danseurs » lorsqu’il remarque une humaine parmi eux. Aucun doute : la jeune femme s’apprête à participer à cette danse mortelle. Il s’élance pour la sauver, oublieux des répercussions de son geste héroïque.


Retour dans l’univers d’Andrea Cort

Nous retournons avec cette novella dans l’univers foisonnant d’Andrea Cort, l’héroïne de la trilogie La Guerre des Marionnettes. Les Homsap (Homo sapiens) font désormais partie du cercle privilégié des espèces pensantes de l’univers connu. Leur établissement sur Vlhan n’est pas récent, mais leur position demeure fragile.
Il n’est pas nécessaire d’avoir lu la trilogie pour aborder cette novella, même si sa connaissance éclaire la place des humains dans ce cercle restreint et permet d’apprécier pleinement le jeu subtil des dialogues. Les thèmes chers à Castro s’illustrent parfaitement ici : le regard sur l’Autre, la responsabilité morale, et la douloureuse frontière entre compréhension et ingérence.

Ici, point d’Andrea Cort. Néanmoins, Adam-Troy Castro anime une figure tout aussi attachante et marquante : Isadora. L’habileté de l’auteur la projette sous le feu des projecteurs, bien qu’elle n’apparaisse que brièvement. Le magnétisme qu’il parvient à dégager en quelques lignes — grâce à des descriptions précises, affinées, aussi travaillées et fluides que les transformations qu’elle accepte — est à souligner.
Les sacrifices consentis, les opérations subies par Isadora convergent vers un seul but : l’essence même de la danse. De la Danse. L’Ultime, dans toutes les acceptions du terme…


Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions

Le Ballet représente l’apogée de la vie des Vlhanis, l’accomplissement absolu. Il signifie la concrétisation d’une existence pour Isadora, le seul être pensant non Vlhan à toucher du doigt la signification du Ballet.
Alex intervient et la sauve d’une mort certaine, sur ordre de son supérieur, l’ambassadeur terrien. En outre, ce dernier s’opposera fermement à ce qu’elle rejoigne les locaux et entreprendra les démarches l’expulser de la planète ad vitam æternam.

Cette décision initiale, et celles qui suivront, seront lourdes de conséquences. L’intervention humaine illustre une incompréhension totale de la culture de Vlhan et, prisonnière de ses certitudes morales, impose sa vision du monde, incapable de concevoir qu’une autre manière de vivre — ou de mourir — puisse avoir sens.

Lecteurs, nous assistons à cet enchaînement. Êtres logiques, nous comprenons les motivations de l’ambassadeur ; humains, nous compatissons avec Alex et admirons son courage.
Le Ballet est certes grandiose, touchant à une forme de pureté divine, mais il n’en demeure pas moins un bain de sang cruel et apparemment dénué de sens. La force d’Adam-Troy Castro est de nous placer la cervelle entre deux chaises, conscients des dilemmes, des bonnes intentions et des choix désastreux.

C’est là l’idée maîtresse du récit. Pour l’ambassade terrienne, même les désirs d’Isadora sont irrecevables : ses membres sont convaincus du bien-fondé de leur intervention, de leur devoir de protection, de leur bon droit… et de détenir la Vérité.
Platon opposait la vérité à l’opinion, la croyance au savoir. Tandis que les opinions sont multiples (et souvent fausses), il n’existe qu’une seule vérité absolue. Saint-Simon écrivait : « Tout est relatif, voilà la seule chose absolue. »

Soulignons aussi qu’Adam-Troy Castro aborde l’art dans un texte de science-fiction — chose rare dans le registre de l’Imaginaire. Ici, la danse devient métaphore de tout ce qui dépasse la raison : la beauté, la foi, la mort. ET une part de Vérité.


Conclusion

La Marche Funèbre des Marionnettes est une novella toute en « sang-sibilité », alliant fond et forme avec grâce et élégance.
Je ne regrette que l’absence d’Andrea Cort.

Ce livre est pour vous si :
  • vous aimez danser
  • vous souhaitez lire de la SF sensible, mais de la SF avant tout
  • vous pensez que la certitude est restreinte aux mathématiques
Je vous le déconseille si :
  • engagez-vous qu’ils disaient !
  • vous ne supportez pas les héros tragiques
  • Vous préférez le patinage artistique
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La Marche Funèbre des Marionnettes – Adam-Troy Castro

15 réflexions sur “La Marche Funèbre des Marionnettes – Adam-Troy Castro

  1. J’allais te demander où tu en étais des Andrea Cort mais j’ai trouvé ma réponse en commentaire 😂.

    Bonne lecture de la 2e novella, pour ma part je l’ai préférée à la première.

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