La Maison des Derviches – Ian McDonald

La maison des Derviches de Ian McDonald

Denoël – Lunes d’encre

Prix Planète SF 2013

XXI° : 2027.

Byzance : une cité, mille et une invitations au voyage. Magique, carrefour de civilisations, de cultures et de commerce, elle envoûte le rêveur avec son parfum d’intemporalité, ses promesses alanguies d’ailleurs. Constantinople berce l’imaginaire du curieux dans les caprices du Bosphore.

Cosmopolite, vivante et vivifiante, Istanbul s’apprête à bouffer du tigre, elle assume sans vergogne ses héritages ottomans et romains. Décomplexée, elle veut le leadership de l’Union Européenne qui l’accepté dans ses rangs, mais elle a beaucoup à prouver.

Tout commence avec une tête qui saute. Une terroriste se fait exploser le caisson dans un rame de tram-way, heureusement elle en est la seule victime. Necdet qui a assisté à la scène s’enfuit discrètement alors que les micro-robots de la police arrivent sur les lieux.

Non, en fait tout commence par une course poursuite entre un robot campé au sommet d’un immeuble surveillant la scène et un jouet robot piloté par un jeune garçon. Can, 9 ans, s’en sortira de justesse grâce à la connaissance de son quartier.

Finalement, le groupe de 4 vieux amis grecs – dont Georgios – récapitule les événements de la façon la plus précise : « Voyons voir ce que nous avons. Une bombe de faible puissance, pas d’autres victimes que la fanatique. Aucune vidéo de son martyre. Les organisateur – ou d’autres personnes – laissent un robot sur le lieux. » C’est effectivement intrigant.

A l’opposé du spectre sanglant et angoissant du terrorisme, nous avons Ayze, une jeune femme spécialisée dans la recherche et la vente de reliques religieuses. Sa quête est dans la lignée du Da Vinci Code de Dan Brown. Elle chasse un artefact particulier, que dis-je un mythe, une légende, un fantasme : l’homme mellifié capable selon la fable de guérir toutes les maladies, de donner du courage et de rendre invincible.

Entre, les considérations policières et le braconnage d’art, nous fréquenterons le milieu de la finance turque. Les Ultralords constitués d’Adnan ainsi que de 3 collègues traders exercent leur prouesse dans le contrôle du gaz. La Turquie étant un nœud stratégique incontournable dans la région, le plus grand réseau d’oléoducs et de gazoducs de la zone est leur terrain de jeu favori. Or, ils ont un petit projet secret et souterrain susceptible de leur rapporter quelques millions.

Vous devez vous demandez en quoi consiste ce roman qui semble partir dans tous les sens : un attentat, un jeune garçon, des grecs, une négociatrice en art, des traders, mais aussi, une commerciale à la recherche d’un boulot, un imam, un groupe terroriste, des djinns,…

C’est simple, tous ont un point commun : La maison des Derviches.

Première chose, de quoi nous causons-nous?

Les derviches sont des mendiants de l‘ordre Mevlevi – ordre musulman soufi fondé XIII e siècle. Les membres sont souvent appelés « derviches tourneurs » en référence à leur danse qui rappelle les mouvements d’une toupie. La maison des Derviches est une sorte de monastère, celui qui nous occupe est très ancien et a été reconverti en divers lots d’habitation. Ian McDonald invite le lecteur à suivre la vie de ce quartier au milieu du XXI°siècle.

Je vous rassure tout de suite, ce n’est pas l’unique lien entre ces protagonistes. En effet, l’auteur est fort habile dans la construction de son roman. Tout y est soigneusement mis en place pour parvenir à la touche finale. A l’image des chaînes géantes de dominos, lorsque le premier bascule entraînant les suivants,  le spectateur assiste à un phénomène visuel impressionnant. C’est ce que nous aurons avec La Maison des Derviches, à une échelle encore plus importante avec des enjeux « monstrueux ».

« la nanotechnologie pourrait reprogrammer nos personnalités. Le but suprême de tout conflit, c’est le cœur et l’esprit.« 

Initialement, le lecteur ne sait pas encore s’il assiste à la mise en place des dominos. En effet, le rythme est très posé en début de roman, nous découvrons les habitudes de chaque groupe, participons à leurs petites manies, leurs chamailleries et prenons part à leurs intimité. Ian McDonald prend le temps de brosser une Turquie dense et crédible. Les descriptions y sont si pointues que nous faisons partie du décor, les odeurs, la moiteur, le bruit, tout enivre nos sens. Nous baignons dans une Istanbul étouffante, à la fois sensuelle et indifférente. Certains trouveront ce rythme trop langoureux pour leur goût. Ils estimeront que la mise en place des dominos est fastidieuse…

En fait le premier domino bascule lors de la course poursuite entre robots. Cette petite intrusion de l’enfant provoque le premier effondrement, entraînant une série de chutes qui bifurquent gentiment de leur côté, avant le bouquet final. Mais, le lecteur ne le sait pas encore.

Contrairement à l’impression que pourrait laisser cet article, il s’agit bien d’un roman de science-fiction. L’évolution de la société est au cœur du récit, et la technologie au rendez-vous que ce soit au travers des moyens de communication mis en jeu, ou l’utilisation de la nanotechnologie.

« Ce qu’on nous dit au sujet de la révolution nanotechnologique, c’est qu’il s’agit de la convergence du biologique et de l’artificiel.« 

L’actualité récente en Turquie n’enlève en rien la crédibilité de l’Istanbul dépeinte par Ian McDonald. Certes, ce pays ne semble jamais plus loin d’intégrer l’UE de nos jours, l’Armée qui fut la garante de la démocratie depuis Atatürk est en meilleure posture dans le roman,  de même la voie choisie dans la fiction est nettement plus républicaine et laïque. Nonobstant ces grosses différences avec l’actualité, le récit et le propos de McDonald conserve tout son sens et surtout sa crédibilité.

La cohérence interne est d’ailleurs renforcée par la structure choisie. Les 5 chapitres représente chacun une journée plus ou moins remplie – plutôt chargée pour tout dire. Les messieurs grecs se réunissent tous les matins pour prendre leur café. Ayze ouvre tous les jours sa galerie d’art, et nos traders ont du boulot sur la planche, décuplé par le montage de l’opération clandestine. Le rythme est assez indolent initialement, puis augmente sans cesse chaque heure passant. (Il ressemble un peu à une fonction logarithmique.)

« Toutes les connaissances l’intéressent. La véritable sagesse découle des fuites qui se produisent entre les disciplines.« 

 Ian McDonald nous délivre une intrigue de SF glaçante de véracité, avec des personnages tout en nuance, forces et faiblesses comprises. Les multiples facettes de Constantinople éclatent et éblouissent le lecteur. J’ai été captivé par ce conte moderne et hypnotisant.

J’aurais pu mettre cette image en tête d’artcile :

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20 réflexions sur “La Maison des Derviches – Ian McDonald

    • Idem pour le Fleuve des Dieux, j’avais trop d’attentes. Là, j’y suis « allée » sans m’en faire une grande idée, et du coup j’ai été agréablement surprise Je crois que c’est la bonne option, ne pas attendre un chef d’œuvre, surtout qu’il faut 1/4 du roman avant que cela démarre…
      Un peu l’apéro mais aussi l’envie de faire une entrée en matière un peu différente! 🙂

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  1. C’est intéressant de voir le parallèle que tu traces entre le roman et l’évolution toute récente de la Turquie. Ca montre bien que les romans d’anticipation « proche » ont vocation a être lus rapidement sinon, à moins d’avoir vu juste, ce qui n’est pas forcément très courant, ils perdent leur caractère visionnaire.
    Ceci dit, j’adore les textes de McDonald, je considère « Le fleuve des dieux » comme étant un chef d’oeuvre de la SF contemporaine, et l’auteur comme un des incontournables du genre. Je lirai donc ce roman, en essayant de le faire rapidement (d’autant qu’il est sur ma PAL en grand format !), merci pour la piqûre de rappel. 😉

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  2. Excellent chronique, dans dix nous verrons ou en est la technologie, l’Europe, la Turquie et nous pourrons voir si Ian McDonald a tapé juste.

    Dans tous les cas, c’est un très bon livre, dont il est difficile de sortir, même après lecture les images d’Istanbul continuent à fuser.

    Tu as réussi à bien donner l’amorce de l’intrigue sans trop en dévoiler et dégager la richesse du livre.

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    • Merci Samuel!
      C’est dans tout juste dix ans. Je doute que nous soyons à ce niveau technologique. Mais, ile ne pouvait pas décaler la date de trop s’il voulait garder le background des grecs cohérent avec la réalité et qu’ils ne soient pas trop vieux…
      Je suis ravie d’avoir donner envie et l’ambiance. Une très belle lecture, envoutante.

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